La CRIIRAD, Commission de Recherche et d'Information Indépendante sur la Radioactivité est née à Valence en 1986, à la suite de l'accident de Tchernobyl. Michèle Rivasi faisait partie de cette poignée de particuliers engagés qui ont voulu imposer une transparence sur les activités nucléaires. Plus de 30 ans après, le laboratoire est une référence à l'échelle mondiale.
Pour Roland Desbordes, ça ne fait aucun doute : "Sans Michèle Rivasi, la CRIIRAD n'aurait jamais vu le jour". Le porte-parole, ancien président et membre fondateur de cet organisme indépendant, se souvient de ce printemps 1986. Le 25 avril, la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, avait explosé laissant échapper un nuage radioactif qui s'est répandu au-dessus de toute l'Europe occidentale. Comme tous les Français, les habitants de la Drôme s'interrogent sur les conséquences de l'accident sur leur santé : "Nous sommes des ruraux, nous mangeons les légumes de notre jardin et le lait des fermes avoisinantes", explique Roland Desbordes. "On se demande s’ils sont contaminés par la radioactivité."
C'est l'époque où le message des autorités officielles se borne à rassurer, en prétendant que la France aurait été épargnée, que le nuage l'aurait survolée sans laisser de radioactivité sur son passage. Roland Desbordes est physicien, Michèle Rivasi biologiste (elle enseigne à l'école normale d'instituteurs de Valence). Ces citoyens lambda se rencontrent au Teil, à l'occasion d'une réunion publique lancée par des anonymes qui remettent en cause le discours de l'Etat. "C'était une rencontre de protestataires, il n'en était rien ressorti de concret", raconte Roland Desbordes. "Mais à la sortie, nous nous sommes retrouvés à une quinzaine, et Michèle Rivasi nous a proposé de créer notre propre laboratoire pour effectuer nos propres mesures... C'était une idée extraordinaire, j'ai tout de suite adhéré à 100 % !"
Dans l'émission "Droit de réponse", elle crève l'écran
Tous n'y ont pas cru immédiatement, mais la suite des événements a démontré que la proposition était loin d'être irréaliste. Les statuts de l'association CRIIRAD sont d'abord déposés en préfecture, mais pour lancer un laboratoire, il faut des moyens, et le charisme de Michèle Rivasi va beaucoup aider. Roland Desbordes avoue qu'il lui est difficile de parler d'elle au passé, tant son décès a été subit : la députée européenne a succombé à une crise cardiaque à l'âge de 70 ans, alors qu'elle se rendait au parlement de Bruxelles. "En 1986, dans un monde d'hommes, cette femme n'a pas hésité à bousculer, à interpeller : lorsque Michel Polac a invité notre association à son émission "Droit de réponse", c'est elle qui y est allée et elle a crevé l'écran !"
Ce passage à la télévision s'est avéré déterminant : l'appel aux dons, lancé à l'antenne, permet de récolter 600 000 francs en quelques jours (pas loin de 100 000 euros). "La boîte aux lettres de l'association débordait de courrier, les chèques affluaient", se rappelle Roland Desorbes. "Nous avons réuni la somme minimum pour financer l'équipement de notre labo". Un apport essentiel pour assurer l'indépendance de la structure, qui se fait fort de se passer de subventions. Dans les premiers mois d'activité, ce sont les particuliers qui apportent ou envoient à la CRIIRAD des échantillons de lait, de foin, de plantes aromatiques afin de savoir s'ils sont contaminés. Tout repose alors sur le bénévolat. "Michèle Rivasi et François Mosnier, son compagnon, formaient le tandem idéal", estime Roland Desbordes. "Tous deux scientifiques, ils réalisaient eux-mêmes les mesures, avec une rigueur à toute épreuve : on n'a pas droit à l'erreur, répétaient-ils toujours !"
Pas une seule erreur de mesure en 30 ans
Au bout de 6 mois, la structure a les moyens d'embaucher un technicien en métrologie. "Aujourd'hui, la CRIIRAD compte 12 salariés, on ne joue pas dans la même cour que les laboratoires d'EDF, de l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) ou du CEA (Commisariat à l'Energie Atomique), précise Roland Desbordes, mais en 30 ans, nous n'avons pas dévié de nos valeurs : indépendance et rigueur scientifique". Le laboratoire de la CRIIRAD peut se vanter de n'avoir commis aucune erreur de mesure en 30 ans et dès 1989 il avait conquis le respect des grands acteurs du secteur. En 2011, après la catastrophe de Fukushima, c'est vers la CRIIRAD que se tournent les habitants pour créer une structure équivalente au Japon.
En 1997, Michèle Rivasi a quitté la présidence de la CRIIRAD pour se lancer en politique, avec le PS, puis les Verts. Là encore, Roland Desbordes, lui reconnaît une conduite exemplaire : "Elle n'a pas mélangé son engagement associatif et ses prises de position politiques. Le laboratoire n'est pas pour ou contre le nucléaire, notre mission est de fournir une information indépendante sur le nucléaire civil, militaire, médical ou naturel. On est resté fidèle à l'idée de départ de Michèle : des citoyens créent une structure scientifique pour participer au débat sur le nucléaire". Un modèle qui a inspiré d'autres organismes : la CRIIGEN pour la génétique, la CRIIREM pour les rayonnements magnétiques, ou le Centre national d'information indépendante sur les déchets (CNIID) font partie de l'héritage de Michèle Rivasi.